Article et données mise à jour en décembre 2020.
Les “Space Invaders” ? La première chose qui vient à l’esprit est certainement le célèbre jeu vidéo popularisé dans les années 80. Cette expression désigne également du street art, plus précisément des petites œuvres en mosaïque inspirées des personnages du jeu vidéo éponyme et disposées aux quatre coins du globe. Ces œuvres sont réalisées depuis 1996 par Invader, un street-artist français qui cultive son anonymat en apparaissant toujours masqué. Chacun de ces Spaces Invaders est unique et permet de “libérer l’art dans la rue”. A mi-chemin entre art et jeu vidéo, l’œuvre d’Invader est aujourd’hui immense et l’on recense un peu plus de 4000 Spaces Invaders dans près de 80 villes à travers le monde, posés lors de “vagues d’invasions”.
Comment un artiste parvient-il à créer une œuvre aussi tentaculaire à travers la planète entière ? Comment procède-t-il ? Comment crée t-il et représente t-il son oeuvre ? Nous allons dévoiler pour la première fois le travail d’Invader en datavisualisations.
Qu’est ce qu’un Space Invader ?
Un Space Invader (aussi appelé invader) est une oeuvre en mosaïque, posée dans la rue, au coin d’un mur, sur une facade, la plupart du temps illégalement, de nuit ou même de jour parfois. Chaque mosaïque est unique de par son emplacement, sa taille, son motif, le nombre de points qu’elle rapporte, ses couleurs. Chaque pièce va rapporter un certain nombre de points (déterminés par l’artiste), et ils vont désigner ainsi le “score” de l’artiste dans chaque ville, et également aujourd’hui les points dans l’application “Flash Invaders”. Avec le temps, une grande communauté de fans autour du travail de l’artiste s’est construite, notamment grâce à l’application Flash Invaders, qui permet de partir à la chasse des mosaïques : chacune d’entre elles rapportant des points, les joueurs vont essayer d’en localiser le plus possible afin d’augmenter leur score.
Toutes ces caractéristiques sont à prendre en compte lors de la création d’un Space Invader. Mais, qu’est-ce que réellement un Space Invader et comment l’artiste le crée-t-il ?
La création d’un Space Invader est donc complexe, et le fruit d’une grande réflexion, notamment sur les couleurs, puisque c’est grâce aux couleurs que le Space Invader va ressortir dans son environnement, ou bien, à contrario être totalement dissimulé.
Après avoir analysé les couleurs d’un échantillon de 500 Spaces Invaders dans les 10 villes qui en comptent le plus, et en centrant notre analyse sur 40 Spaces Invaders dans les villes de Hong-Kong, Marseille et Miami (une pour chaque continent où l’artiste est très présent), voici ce que l’on constate :
- Le nombre de couleurs par Space Invader est réduit, rappelant le pixel art. On retrouve rarement plus de cinq couleurs par Space Invader.
- En fonction des villes, il peut y avoir une tendance, en lien avec l’histoire locale et/ou la localisation de la ville. Par exemple, pour Marseille, le bleu est omniprésent en lien avec sa localisation en bord de mer. Pour Hong-Kong, on remarque qu’il y a beaucoup de rouge, en référence à la couleur porte-bonheur dans la culture chinoise.
- Le bleu (sous toutes ses formes) est la couleur la plus utilisée par l’artiste.
Au-delà des couleurs dans l’oeuvre très prolifique de l’artiste Invader, les références que l’on y retrouve sont également importantes. Effectivement, si initialement, l’artiste s’est inspiré des jeux vidéos via les Spaces Invaders, on se rend compte qu’au fur et à mesure, il va élargir son champ de référence à d’autres jeux vidéos en représentant Mario dès 2007, puis à d’autres univers:
- le cinéma, avec des Spaces Invaders représentant les héros de Star Wars, The Dude de The Big Lebowski ou encore le Monstre de Frankenstein,
- les dessins animés, avec de multiples références, allant des Tortues Ninja aux Aristochats en passant par Astroboy,
- la peinture, avec le portrait de la Joconde ou encore celui de Picasso,
- la musique, avec le portrait d’artistes célèbres tels que Chuck Berry, Serge Gainsbourg ou Nina Simone,
- et enfin la culture locale, en ajoutant à ces Spaces Invaders des symboles y faisant références, avec l’univers de la mer (poissons, pieuvre, etc.) et le Pastis à Marseille, des animaux dans la réserve naturelle de Grumeti en Tanzanie, etc.
Toutes ces références vont progressivement être insérées dans le travail de l’artiste au fil du temps, au fur et à mesure de l’évolution de son style et de la maturation de son projet, et cela à travers tous les pays qu’il va envahir.
L’invasion des différents pays
Invader conçoit son œuvre comme un jeu. Ainsi, il va se rendre à différents endroits du monde pour les “envahir”, c’est à dire y apposer ses mosaïques. L’invasion d’un endroit sur une période de temps donnée constitue une “vague d’invasion”. Il pourra répéter cette opération plusieurs fois au même endroit, réalisant plusieurs vagues d’invasion. Le but de l’artiste est ainsi de s’étendre partout, et tout le temps : “Everytime, everywhere”.
Si l’on s’intéresse à ces différentes vagues d’invasion dans le monde (en excluant Paris, son lieu de résidence qui est envahi de manière permanente), on constate que l’artiste est allé aux quatre coins de la planète. Les Spaces Invaders sont présents sur tous les continents et dans près de 30 pays, dont plus de la moitié (53,3%) en Europe.
Plus l’artiste s’est rendu dans un pays, plus le nombre de Spaces Invaders y est élevé. En fonction du pays, l’artiste aura envahi un nombre de villes varié, et l’on remarque que dans les pays européens, dans lesquels il s’est plus fréquemment rendu, l’artiste a envahi plusieurs villes par pays. Hors Europe, les Etats-Unis sont le seul pays où il a envahi plus de deux villes.
Les différentes vagues d’invasion
Les vagues d’invasion ont commencé à travers le globe en 1999. On constate que dès cette année, l’artiste s’est rendu dans pas moins de cinq pays différents. Sa présence sur les cinq continents va se faire progressivement, avec un passage au Japon en 1999, en Australie en 2002, au Kenya en 2006 et au Brésil en 2010.
Tout au long de sa carrière, l’artiste va envahir différentes villes de France de manière très régulière. Il se rend également très fréquemment aux Etats-Unis. Invader va, au fur et à mesure, essayer de poser ses pièces dans toujours plus de pays. Parfois même à des endroits auxquels on ne s’attend pas comme le Bhoutan en 2018. Le nombre de mosaïques qu’il va poser au fil des années sera plus ou moins important, avec en moyenne 114 pièces posées par an, avec un maximum de 258 invaders posés en 1999 et un minimum de 45 invaders posés en 2009.
Toutes les vagues d’invasions réalisées ne se ressemblent pas, et on distingue différents types d’invasions :
- Les invasions “événements” : vagues d’invasions réalisées à l’occasion d’expositions, de projets, de collaborations ou d’événements artistiques auxquels l’artiste participe. Par exemple, l’invasion de l’ISS et des centres spatiaux, l’invasion de la ville de Versailles comme contre-pied à l’art contemporain exposé dans le château de Versailles, etc.
- Les invasions “loisir” : vagues d’invasions de petites tailles (jusqu’à 10 Spaces Invaders maximum posés) réalisées lors des déplacements de l’artiste.
- Les “grandes” invasions : vagues d’invasions de grande tailles, durant lesquelles lnvader pose plusieurs dizaines de mosaïques en une seule vague, dans le but d’augmenter son “score” dans la ville.
- Les invasions “massives” : Invasions exceptionnelles de par leurs tailles. On en compte quelques unes ; la dernière invasion massive à été réalisée à Potosi (Bolivie) où 53 Spaces Invaders ont été posés en une seule vague.
Paris : La ville emblématique d’Invader
En comparant maintenant les Spaces Invaders de Paris à ceux du reste du monde, on constate qu’il y en a énormément dans la capitale française en comparaison avec toutes les mosaïques que l’on retrouve dans le monde. Cela signifie que sur 105,4 km², il y a quasiment autant d’invaders que sur les 47 millions de km² des pays envahis, Paris dominant ainsi toutes les autres villes.
En fonction des arrondissements, les Spaces Invaders parisiens ne sont pas répartis de la même manière. On retrouve seulement 23 mosaïques dans le 14e contre 135 dans le 11e. Mais c’est dans le 3e arrondissement que vous aurez le plus de chance de tomber nez à nez avec un Space Invader, la densité des oeuvres étant la plus élevée dans cet arrondissement (67/km2, contre 37/km2 dans le 11e par exemple).
A Paris et ailleurs, Invader a laissé sa trace aux quatre coins de la planète. Son oeuvre très prolifique est aujourd’hui mondialement connue, et l’on dépasse les 4000 Spaces Invaders posés, et cela ne fait nul doute que l’artiste va continuer d’alimenter toutes ces données.
Vous pouvez retrouver un article sur les coulisses de ce travail sur les données et la datavisualitions des Spaces Invaders ici.